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VVPRbis – chronique d’une instabilité annoncée

Suzon Nyssen, 30 dic 2025

Il y a quelques semaines le gouvernement a annoncé son intention de relever le taux réduit du précompte mobilier sur dividendes de 15% à 18%. Cette annonce soulève d'importantes questions quant au moment opportun de distribution des bénéfices, et bien que de nombreux acteurs économiques soient tentés de distribuer in extremis des dividendes avant la fin d’année, il est important de garder la tête froide et de peser tous les enjeux avant prise de décision.

 

Le cadre juridique des distributions intercalaires ou acomptes sur dividendes

Le Code des sociétés et des associations (CSA) prévoit deux mécanismes distincts de distribution en cours d'exercice. L'acompte sur dividende constitue une distribution fondée sur le bénéfice estimé de l'exercice en cours et requiert un formalisme substantiel : rapport du commissaire dans les grandes entreprises ou situation comptable de moins de deux mois pour les autres. Le dividende intercalaire s'analyse comme un prélèvement sur les bénéfices reportés ou réserves disponibles du dernier exercice clôturé, relevant de la compétence de l'assemblée générale avec moins de formalisme.

L'article 269 CIR 1992 subordonne l'application du taux réduit à une condition temporelle : les dividendes doivent être « alloués ou attribués lors de la répartition bénéficiaire des troisième exercice comptable ou suivants après celui de l'apport ». La circulaire 2021/C/36 précise par ailleurs que les distributions en cours d'exercice sont rattachées à la répartition bénéficiaire de l'exercice en cours aux fins du calcul de ce délai.

 

Le fait générateur et les principes de droit transitoire

L'article 261 CIR 1992 établit que le précompte mobilier est dû lorsque les revenus sont « payés ou attribués ». La jurisprudence vise la mise à disposition effective ou l'attribution juridique du dividende. Le fait générateur s'analyse donc comme la décision d'attribution et/ou la mise en paiement.

En droit transitoire belge, le principe de non-rétroactivité implique que, sauf disposition expresse contraire, la loi applicable est celle en vigueur au moment du fait générateur. Par conséquent, en l'absence de disposition transitoire anti-abus spécifique, un dividende dont la décision d'attribution ET la mise en paiement interviennent avant l'entrée en vigueur de la nouvelle législation devrait bénéficier du taux de 15%.

 

Les scénarios législatifs possibles

L'incertitude majeure réside dans les futures dispositions transitoires que le législateur pourrait adopter :

  • Scénario 1 : Application du principe général

Sans disposition transitoire spécifique, le principe du fait générateur s'applique. Les dividendes décidés et payés avant l'entrée en vigueur bénéficient du taux de 15%.

  • Scénario 2 : Disposition transitoire anti-abus

Le législateur pourrait prévoir explicitement que le taux de 18% s'applique aux dividendes « se rapportant » aux distributions bénéficiaires des exercices clôturant à partir du 31 décembre 2025, indépendamment de la date de versement.

  • Scénario 3 : Clause temporelle anti-anticipation

Une disposition pourrait viser spécifiquement les distributions réalisées dans un délai déterminé avant l'entrée en vigueur, selon un mécanisme anti-abus.

Pour les sociétés à clôture 30/06/2025, le maintien du taux de 15% est plus assuré si l'assemblée générale et la déclaration interviennent avant l'entrée en vigueur présumée de la loi. Pour les clôtures 31/12/2025, le risque dépend entièrement du libellé transitoire futur. Sans disposition anti-abus explicite, le principe général du fait générateur devrait protéger les distributions anticipées, mais l'incertitude demeure jusqu'à la publication du projet de loi.

 

Une réforme symptomatique d'une instabilité législative problématique

Cette réforme intervient dans un contexte particulièrement absurde. À l'été 2025, le législateur a réformé le régime de la réserve de liquidation pour aligner son taux sur le VVPR bis à 15%, dans un objectif explicite d'harmonisation et de simplification du paysage fiscal des dividendes. Cette réforme visait à créer une cohérence entre les deux mécanismes de distribution à taux réduit.

À peine quelques mois après cette harmonisation, le gouvernement annonce l'augmentation simultanée des deux taux à 18%. Cette volatilité confine à l'absurde et pose plusieurs problèmes structurels graves :

La réforme de l'été 2025 a mobilisé des ressources publiques et privées considérables (débats parlementaires, mise en conformité). La remettre en cause quelques mois plus tard constitue un gaspillage sans précédent et illustre l'absence de cohérence de la politique fiscale belge. Cette instabilité législative rend complexe toute planification fiscale rationnelle, les réserves de liquidation s'inscrivant naturellement dans des stratégies patrimoniales de long terme avec des périodes de détention obligatoires. Mais surtout, cette volatilité normative envoie un signal catastrophique aux investisseurs : contrairement aux juridictions concurrentes offrant une stabilité prévisible sur plusieurs années, la Belgique démontre que sa législation fiscale peut être bouleversée en quelques mois, devenant ainsi un facteur décisif de délocalisation.

 

Articulation avec la taxation des plus-values sur actions

L'introduction d'une taxation des plus-values sur actions avec valeur de référence au 31 décembre 2025 crée une interaction complexe. Toute distribution de dividendes antérieure à cette date diminue mécaniquement l'actif net de la société et sa valeur de référence, augmentant corrélativement la plus-value latente taxable lors d'une cession ultérieure.

Illustration : Une société d'une valeur d'actif net de 1.000.000 EUR qui distribue 200.000 EUR en décembre 2025 verra sa valeur de référence fixée à 800.000 EUR. Lors d'une cession ultérieure à 1.000.000 EUR, la plus-value taxable s'élèvera à 200.000 EUR au lieu de zéro. L'économie de 3% de précompte mobilier doit être mise en balance avec l'augmentation de la plus-value taxable future selon l'horizon de détention et les perspectives de cession.

 

Recommandations pratiques

Nous recommandons une approche prudente : Tant qu'un projet de loi définitif n'a pas été publié, il est impossible de garantir qu'une distribution anticipée permettra de bénéficier du taux de 15% pour les clôtures 31/12/2025, en raison de l'incertitude quant aux dispositions transitoires futures. Les sociétés à clôture 30/06/2025 disposent d'une marge de manœuvre supérieure si l'assemblée générale et la déclaration interviennent avant l'entrée en vigueur présumée de la loi.

Gardons à l’esprit que toute décision doit intégrer l'impact sur la valorisation au 31/12/2025, l'horizon de détention, les perspectives de cession et les besoins de liquidités. Une distribution précipitée peut s'avérer sous-optimale à moyen terme.