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Versements d’une construction juridique au profit d’un tiers imposable au titre de dividende ?

Alice Van Oldeneel, Vincent Berchem, 30 avr. 2025

Vous êtes fondateur d’une construction juridique. Votre enfant, habitant du Royaume qui n’est ni actionnaire, ni fondateur de la construction juridique, veut acquérir un bien. Vous vous demandez si une somme versée par votre construction juridique au profit de l’un de vos enfants peut être imposée dans son chef. Deux situations similaires ont récemment été soumises aux juridictions belges, aboutissant à des réponses divergentes.

Les faits

L’enfant d’un fondateur d’une construction juridique acquiert un immeuble, mais le prix d’acquisition est directement payé par la construction juridique. Le montant  est directement versé depuis le compte bancaire de la construction juridique vers le compte du notaire. De la même manière, certains montants liés à la rénovation de l’immeuble ont été directement réglés aux prestataires de services. Ainsi, l’enfant – qui est tiers par rapport à la construction juridique – n’a jamais perçu personnellement les fonds. La question soulevée était de savoir si le montant ainsi payé en faveur de l’enfant devait être qualifié de dividende imposable.

Les juridictions ont adopté des positions différentes : le tribunal de première instance de Bruxelles a jugé que ces versements ne constituaient pas un dividende imposable, tandis que, moins d’un mois plus tard, le tribunal de première instance du Brabant Wallon a considéré que ces montants devaient être taxés comme tels. Il est important de préciser qu’aucun élément du dossier ne permettait de conclure à une donation indirecte du fondateur vers son enfant.

Analyse juridique

Le Code des impôts sur les revenus distingue plusieurs catégories de constructions juridiques : d’une part, il y a la construction juridique qui n’a pas de personnalité juridique (par exemple un trust), qui est « une relation juridique créée par un acte du fondateur ou par une décision judiciaire, par lequel ou laquelle des biens ou des droits sont placés sous le contrôle d'un administrateur afin de les administrer dans l'intérêt d'un ou plusieurs bénéficiaires ou dans un but déterminé » (première catégorie) ; d’autre part, il y a les fondations avec personnalité juridique, les sociétés établies dans les paradis fiscaux, la particularité de cette deuxième catégorie de construction juridique étant leur faible imposition (moins de 15% d’impôt sur les revenus). En effet, il s’agit plus précisément de « toute société, association, établissement, organisme ou entité quelconque, qui possède la personnalité juridique en vertu du droit qui le régit ou qui a une forme juridique analogue à celle d’une société ou d’une association de droit belge dotée de la personnalité juridique et qui, en vertu des dispositions de la législation de l’Etat ou de la juridiction où il est établi, soit, n’y est pas soumis à un impôt sur les revenus, soit, y est soumis à un impôt sur les revenus qui s’élève à moins de 15 p.c. du revenu imposable de cette construction juridique déterminé conformément aux règles applicables pour établir l’impôt belge sur les revenus correspondants. » Les deux jugements cités concernaient des constructions juridiques de cette deuxième catégorie.

Pour comprendre le raisonnement des juges, un détour par la notion de dividende s’impose. En effet, les revenus des capitaux et biens mobiliers sont tous les produits d'avoirs mobiliers engagés à quelque titre que ce soit, à savoir les dividendes, les intérêts, etc. (art. 17 Code des impôts sur les revenus (CIR 92)), étant entendu que les dividendes comprennent les sommes attribuées ou mises en paiement par une construction juridique (art. 18, al. 1, 3°CIR 92).

Le juge bruxellois va considérer que le tiers (descendant en ligne directe) qui a bénéficié des sommes n’a pas perçu un dividende (et ne sera dès lors pas imposé), puisqu’il n’a pas engagé d’avoirs dans la construction juridique, il n’est pas le bénéficiaire économique de la construction juridique. Tel n’aurait pas été le cas si c’était le fondateur qui avait bénéficié de l’argent versé par la construction juridique. Ainsi, le juge affirme que les articles 17 et 18 du CIR doivent être lus conjointement et, en l’espèce, les conditions ne l’article 17 ne sont pas remplies : on n’est pas face à un revenu mobilier taxable, ni a fortiori à un dividende.

De son côté, aucune des parties n’ayant invoqué l’argument de l’engagement des avoirs de l’article 17, le juge wallon va appliquer l’article 18, al. 1, 3° précité et s’appuyer sur les travaux préparatoires de la loi qui a modifié l’article 18 du CIR et l’intention du législateur afin de justifier la bonne imposition des sommes versées par la construction juridique qu’il qualifie effectivement de dividende. En d’autres termes, que le bénéficiaire soit fondateur ou un tiers habitant du Royaume, le tribunal considère que l’argent qui a été distribué par la construction juridique est imposable dans son chef à titre de dividende sur base de l’article 18.

Le régime des constructions juridiques est complexe et incertain : une situation factuellement similaire peut entrainer des décisions jurisprudentielles totalement différentes en fonction de la manière dont les arguments juridiques sont présentés, et malgré une législation identique l’appréciation faite par les tribunaux est loin d’être uniforme. Le recours à des constructions juridiques doit s’accompagner d’une grande prudence, sans perdre de vue qu’en première instance il n’existe pas d’uniformité d’interprétation du droit ; faute de précision dans la loi il faudrait attendre les décisions d’appel – voire de cassation – pour voir se dégager une position nationale uniforme.