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Contentieux fiscal : vers la reconnaissance d’un délai de procédure raisonnable ?

Alice van Oldeneel, Vincent Berchem, 4 de jun. de 2025

Suite à une rectification de vos revenus imposables proposée par l’administration fiscale vous introduisez une réclamation, mais l’administration fiscale maintient sa décision de taxation et vous décidez donc finalement d’introduire une action en justice. Insatisfaite du jugement rendu en première instance, l’une des parties interjette ensuite appel : combien de temps au maximum cette procédure fiscale complète peut-elle durer ?

Le 28 janvier 2025, la Cour d’appel de Bruxelles s’est penchée sur le délai raisonnable. Partant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) édictant le « Droit à un procès équitable », le requérant invoque la violation du délai raisonnable, la phase d’appel ayant, à elle seule, durée 5 ans et demi.

Chronologie :

- Le jugement en première instance est rendu le 1er mars 2019 ;

- L’appel est interjeté quelques jours plus tard, soit le 28 mars 2019 ;

- L’audience d’appel est tenue les 18 septembre et 26 novembre 2024, soit cinq ans et demi après le dépôt de la requête d’appel.

Raisonnement :

Le premier paragraphe de l’article 6 de la CEDH énonce que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »  En matière fiscale, cet article 6 est uniquement pertinent en ce qui concerne les accroissements d’impôts infligés au contribuable, car ils relèvent effectivement d’une accusation qui s’apparentent à une matière pénale. Les autres obligations fiscales, dont le paiement de l’impôt, relèvent du droit public. Ce ne sont pas des droits et obligations de caractère civil ; l’impôt des sociétés par exemple ne peut donc pas être vu sous le prisme de cet article.

Concrètement, être jugé endéans un délai raisonnable, c’est combien d’années ? Pour l’examen d’une affaire en degré d’appel, le délai raisonnable serait de deux ans. Dans son arrêt, la Cour d’appel de Bruxelles fait référence au Conseil d’Etat des Pays-Bas qui considère que le délai raisonnable d’une procédure fiscale complète (c’est-à-dire : procédure de réclamation suivie de deux instances judicaires) est de 4 ans maximum, ce délai de 4 ans commençant à courir lorsque l’administration fiscale reçoit la réclamation du contribuable.

Pour apprécier le délai raisonnable en matière fiscale, le juge va avoir égard aux circonstances propres de l’espèce, au comportement des parties et à la complexité de l’affaire pendante. En l’espèce, le juge a constaté que le retard de trois ans et demi en degré d’appel n’était nullement imputable au comportement des parties, ni à l’affaire elle-même : il trouve sa cause uniquement dans la surcharge de la chambre fiscale de la Cour d’appel de Bruxelles. Il n’est donc pas justifié ; le délai raisonnable est violé. Néanmoins, le juge constate que, dans cette affaire, la violation du délai raisonnable n’a pas affecté l’exercice des droits des parties et le requérant, qui avait invoqué cet argument, n’y donne pas de suite concrète et ne réclame rien. Le juge suit donc le raisonnement de l’administration fiscale et maintient l’accroissement d’impôt fixé à hauteur de 200%.

Cet arrêt étonnant semble ouvrir une porte pour les contribuables qui pourraient ainsi utiliser la violation du délai raisonnable d’une procédure fiscale en application de l’article 6, §1 de la CEDH pour demander la remise des accroissements d’impôt réclamés. Lorsque l’on sait qu’à Bruxelles une affaire jugée aujourd’hui en première instance ne pourra être analysée en appel que dans 20 ans en raison de la surcharge des Cours et Tribunaux, on ne peut qu’espérer que cette mesure fasse pression sur le pouvoir exécutif (dont l’administration fiscale est un organe) pour refinancer la Justice et permettre aux contribuables un réel droit à être fixé sur son sort dans un délai raisonnable.