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La location d’une partie de l’habitation privée par le dirigeant à sa société

Alyssa Aïssa, Vincent Berchem, 30 avr. 2025

De nombreux dirigeants d’entreprise choisissent de louer une partie de leur habitation privée à leur société. C’est une pratique courante car elle offre plusieurs avantages tant pour la société que pour le dirigeant d’entreprise : un accès plus facile au lieu de travail, un loyer souvent moins élevé qu’un bureau privé classique, un complément à la rémunération. Cette pratique comporte des implications qu’il est essentiel de comprendre afin d’éviter les mauvaises surprises.      

 

Revenus locatifs requalifiés en revenus professionnels


Il est indéniable que les revenus locatifs sont fiscalement plus intéressants que les revenus professionnels. Pourquoi ? La rémunération de dirigeant d’entreprise versée par la société est taxée au taux progressif, avec la possibilité de déduire les frais professionnels réels ou forfaitaires à 3 %. Cette rémunération est également assujettie aux cotisations sociales des indépendants.

À l’inverse, les revenus locatifs, bien qu’eux aussi soumis au taux progressif, bénéficient d’une déduction de frais forfaitaires de 40 %, plafonnée à deux tiers du revenu cadastral revalorisé, et ne sont pas soumis aux cotisations sociales.

Mais cette attractivité fiscale a ses limites.  Les loyers perçus ne peuvent pas être fixés librement sans contrainte. L’article 32, al.2, 3° du CIR prévoit que le loyer perçu par un dirigeant d’entreprise excédant les cinq tiers du RC indexé revalorisé est requalifié en rémunération de dirigeant d’entreprise. Le coefficient de revalorisation est fixé chaque année. Pour cette année 2025, il s’élève à 5,63, soit une augmentation de 3,11 % par rapport à l’année dernière où il était fixé à 5,46.

Les loyers excédant ce plafond seront considérés comme une rémunération brute, avec toutes les implications fiscales et sociales qui en découlent. La société devra également établir une fiche 281.20 et prélever le précompte professionnel. Si le dirigeant opte pour la déduction des frais professionnels réels, il ne pourra pas inclure les frais relatifs au bien immobilier donné en location, tels que les frais d’entretien, de réparation, etc.

 

Détermination de la quotité professionnelle de l’habitation

La détermination de la quotité professionnelle d’une habitation est un élément essentiel à prendre en compte, tant pour évaluer la requalification du loyer en rémunération dans le chef du dirigeant d’entreprise que pour déterminer la déductibilité des frais dans le chef de la société.

La clé de répartition sera toujours une question de fait. La jurisprudence privilégie le critère de la superficie comme élément objectif, celui-ci détermine l’exploitation réelle de la société sur base de la superficie totale de l’habitation. L’exploitation réelle de la société dans le bâtiment doit être démontrée. Il ne suffit pas qu’une partie du bien soit déclarée à usage professionnel : encore faut-il prouver qu’elle est effectivement utilisée dans le cadre des activités de la société.

La charge de la preuve repose sur le contribuable et l’administration fiscale conserve le droit de procéder à une vérification sur place pour s’assurer de l’exploitation effective des locaux par la société.

Bien que la quotité professionnelle soit généralement déterminée sur la base de la superficie totale de l’habitation, d’autres critères peuvent être pris en compte, notamment en cas d’usage mixte, à condition de justifier précisément le calcul aboutissant à un pourcentage différent.

 

Obligation d’enregistrer le bail de location


Conformément aux dispositions du Code Civil, un contrat de bail peut être verbal ou écrit. Lorsqu’il est exclusivement verbal, il n’est pas soumis à l’obligation d’enregistrement. En revanche, si le contrat est établi par écrit, il doit être enregistré.

L’article 19, 3°, b) du C. enregistrement prévoit que les actes portant bail, sous-bail ou cession de bail d'immeubles ou de parties d'immeubles situés en Belgique autres que ceux affectés exclusivement au logement familial doivent être enregistrés. Cet enregistrement doit se faire dans un délai de 4 mois. Le droit est fixé à 0,2% du montant des loyers et les charges imposés au preneur pour toute la durée du contrat. Désormais ces contrats de bail doivent être enregistrés sur une plateforme numérique telle que MyRent.

Nous recommandons généralement, par prudence et afin de sécuriser juridiquement les relations entre parties, d’établir un contrat de bail écrit entre la société et le dirigeant d’entreprise et de procéder à son enregistrement. Cette pratique permet de prouver l’existence et les termes du contrat en cas de litige ou de contrôle fiscal.

 

Déduction des loyers et avantages locatifs

Le loyer ainsi que les avantages locatifs supportés par la société sont déductibles dans la mesure où les frais satisfont aux conditions prévues à l’article 49 du CIR 92.

L’absence d’enregistrement du bail n’empêche pas, en soi, la déduction des loyers. Cette position a été confirmée par l’administration dans la circulaire n° 2024/C/29. En revanche, si le bail a été enregistré gratuitement et non au droit fixe de 0,2 %, les loyers supportés par la société ne pourront être déduits dans son chef.

Depuis l’année dernière, la déduction était également subordonnée à l’obligation de joindre le formulaire 270 MLH à la déclaration fiscale. Le gouvernement Arizona a annoncé la suppression de cette formalité afin de simplifier les procédures administratives et fiscales qui sera probablement d’application à partir de l’exercice d’imposition 2026.

 

Les travaux d’aménagement supportés par la société

Selon l’activité exercée, une société peut être amenée à réaliser des travaux dans le bien qu’elle loue afin d’adapter les lieux à ses besoins. Ces travaux sont généralement supportés aux frais de la société et déductibles dans son chef sous certaines conditions.   

Un point de vigilance s’impose : ces travaux peuvent être requalifiés d’ « avantage locatif » et imposables dans le chef du propriétaire en tant que revenus immobiliers.

L’article 7, §1er, 2°, c, du CIR92 prévoit que les revenus immobiliers taxables comprennent notamment le montant total du loyer et des avantages locatifs quand il s'agit de biens immobiliers donnés en location à une société. Par avantages locatifs, il y a lieu d'entendre toute obligation, tout travail imposé au locataire ou dont l’exécution peut être exigée par le bailleur . Lorsque des travaux importants de transformation ou d’amélioration sont entrepris et financés volontairement par le locataire, indépendamment de toute obligation, le coût de ces travaux ne peut être assimilé à des charges imposables dans le chef du bailleur.

En cas de contrôle fiscal, il appartient au contribuable-propriétaire de prouver que les travaux n’ont pas été imposés. En l’absence de contrat de bail écrit, il devient plus complexe, voire impossible, de démontrer que les travaux réalisés à la charge du locataire n’étaient pas imposés par le propriétaire. Nous recommandons donc de rédiger un bail en bonne et due forme incluant certaines clauses spécifiques qui démontrer que le propriétaire ne met pas les travaux à charge du locataire. De plus, l’enregistrement confère au bail une date certaine et garantit son opposabilité aux tiers, y compris vis-à-vis de l’administration fiscale.

 

Conclusion

Louer une partie de son habitation privée à sa société peut présenter des avantages pratiques et financiers non négligeables, à condition d’en maîtriser les implications juridiques et fiscales. La fixation du loyer, la détermination de la quotité professionnelle, l’enregistrement du bail ainsi que le traitement des travaux réalisés sont autant d’éléments à examiner avec rigueur. Une documentation adéquate, notamment via un contrat de bail écrit et enregistré, est indispensable pour sécuriser l’opération et limiter les risques de requalification ou de redressement.