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Avantages de toute nature et déductibilité fiscale : une jurisprudence inconstante

Suzon Nyssen, 1 de jul. de 2025

La théorie de la rémunération

Lorsqu’une société octroie un avantage à son dirigeant, cet avantage constitue un avantage de toute nature (ATN) imposable dans le chef du bénéficiaire. La logique fiscale voudrait qu’en contrepartie, les frais exposés par la société pour octroyer cet avantage soient déductibles.

Cette logique se vérifie dans le cadre de la théorie de la rémunération, largement reconnue en jurisprudence et en doctrine : les frais exposés par la société pour octroyer l’ATN peuvent être considérés comme des frais professionnels déductibles en vertu de l’article 49 du Code des impôts sur les revenus, à condition de respecter deux conditions cumulatives :

- l’avantage doit être imposé dans le chef du bénéficiaire, et

- il doit constituer la contrepartie de prestations réelles et spécifiques rendues à la société.

La charge de la preuve repose sur la société, qui doit démontrer le lien concret entre les prestations fournies et l’avantage accordé. Et c’est là que la jurisprudence varie, comme l’illustrent deux décisions récentes rendues par les Cours d’appel de Gand et d’Anvers. En fonction du type d’avantage, on va ainsi voir se dégager différentes exigences d’exhaustivité et de preuve.

 

Gand : une interprétation favorable au contribuable

Dans un arrêt du 25 juin 2024 (n° 2023/RG/343), la Cour d’Appel de Gand a admis la déduction des frais liés à la mise à disposition d’une habitation par la société de management d’un notaire, gérée par un unique actionnaire-dirigeant. La société avait acquis en 2010 une habitation, partagée avec le dirigeant. À partir de 2015, l’usage partiel de cette habitation concédé à titre gratuit au dirigeant a été déclaré comme un ATN dans son chef. Le PV de l’assemblée générale approuvant les comptes annuels détaillait par ailleurs les prestations du dirigeant et le lien avec l’avantage octroyé.

  • Analyse de la Cour

La Cour a reconnu la validité de la théorie de la rémunération dans ce cas car le dirigeant était l’unique prestataire de la société ; il n’y avait donc pas de confusion possible sur l’origine des revenus dans la mesure où le chiffre d’affaires généré résultait clairement des prestations du dirigeant. Le procès-verbal était par ailleurs précis, listant les tâches accomplies et expliquant le caractère proportionné de la rémunération.

  • Limite posée

La déduction des frais de petit entretien de l’habitation a été rejetée : ces frais n’étant pas compris dans l’évaluation forfaitaire de l’ATN, ils ne sont pas couverts par la théorie sauf si leur avantage est imposé sur base réelle, ce qui n’était pas le cas ici.

 

Anvers : une exigence probatoire renforcée

À l’inverse, dans deux arrêts du 4 février 2025 (n° 2023/AR/1141 et 1142), la Cour d’appel d’Anvers a adopté une position nettement plus restrictive.

Une société médicale avait octroyé des options sur actions à son dirigeant unique. L’entreprise invoquait la théorie de la rémunération, se fondant sur le procès-verbal de l’AG et sur le fait que le dirigeant était le seul à fournir des prestations.

  • Décision de la Cour

La Cour a rejeté la déduction des frais en raison de l’insuffisance des preuves : le procès-verbal ne décrivait pas concrètement les prestations liées à l’attribution des options, les mentions étaient trop générales, perçues comme une formule de style sans contenu probant.le contribuable n’a d’ailleurs pu produire aucun document financier, plan de rémunération, ni analyse coûts/performances.

La Cour d’Anvers indique que des documents tels que :

- une analyse coûts-bénéfices,

- des objectifs atteints,

- un plan de performance,

seraient nécessaires pour démontrer qu’un ATN est lié à des prestations réelles.

Cette position illustre une approche plus formaliste, particulièrement dans des cas d’avantages atypiques comme les options sur actions, où le risque de confusion entre rémunération et conflit d’intérêt est élevé.

 

Cette divergence jurisprudentielle, source d’insécurité

Ces deux arrêts montrent une divergence notable entre approche contextuelle et souple (Gand) et approche stricte et documentaire (Anvers). Cela crée une insécurité pour les PME et sociétés unipersonnelles, exposées à des interprétations variables selon les juridictions.

En cas de contestation par le fisc, les conséquences ne sont pas anodines : outre le risque d’accroissements, majorations et amendes, les frais sont réintégrés dans le résultat imposable de la société, alors que le dirigeant reste imposé sur l’ATN. Triple peine assurée.

Afin de limiter les risques, différents mécanismes peuvent être mis en place :

- documenter en amont la politique de rémunération (montant, nature, raison – le cas échéant établir une analyse économique ou un plan d’évaluation de performance),

- indiquer précisément dans le PV d’AG le montant de l’ATN octroyé et préciser les prestations liées à l’avantage octroyé,

- s’assurer que l’ATN est bien déclaré dans les fiches fiscales du dirigeant.

 

Conclusion

La théorie de la rémunération est un outil fiscal légitime mais exigeant. Elle offre aux sociétés une certaine souplesse dans la structuration de la rémunération des dirigeants. Cependant, entre les accusations agressives de l’administration fiscale et les approches contrastées des Cours et Tribunaux, les entreprises doivent se montrer prudentes, rigoureuses et transparentes dans la justification de leurs dépenses. Ne négligez pas cet aspect administratif, car il est préférable d’anticiper une éventuelle contestation, plutôt que de devoir la subir.